domingo, 3 de maio de 2015

François Luthi, Michel Konzelmann

Le syndrome douloureux régional complexe (algodystrophie) sous toutes ses formes

Rev Med Suisse 2014;271-272

Présentation clinique

Un homme de 45 ans fait une chute d’une échelle. Il en résulte une fracture du calcanéum droit traitée par réduction ouverte, ostéosynthèse, immobilisation, puis physiothérapie. Après une évolution décrite comme favorable, il consulte au quatrième mois pour une douleur qui persiste, particulièrement présente le soir et la nuit. La couette est difficilement supportée sur le pied. Il note aussi une tuméfaction, toujours présente, accompagnée d’une sensation de chaleur. A l’examen clinique, le patient utilise deux cannes. Les cicatrices sont calmes. La cheville et le pied sont enflés, chauds, assez raides. Le rebord externe et le dos du pied sont diffusément sensibles avec des sensations désagréables au toucher. A la prise de sang, les paramètres inflammatoires sont normaux. Le contrôle récent chez le chirurgien est rassurant, la fracture considérée comme consolidée.
Vous suspectez une algodystrophie et prescrivez un traitement de calcitonine avec poursuite de la physiothérapie. Après six semaines, l’évolution est mitigée. Le patient dit que ça va un petit peu mieux. L’examen clinique est superposable.
Confirmez-vous le diagnostic d’algodystrophie ? Proposez-vous des examens complémentaires et/ou d’autres traitements, médicamenteux ou non ?

Commentaire

En l’absence de test objectif, le syndrome algodystrophique a longtemps ressemblé à un chaos diagnostique, entraînant confusion thérapeutique et controverse scientifique. Pour «remettre de l’ordre dans la maison», l’International Association for the Study of Pain (IASP) a proposé une nouvelle terminologie, le syndrome douloureux régional complexe (SDRC), qui évite toute spéculation physiopathologique. Elle a aussi réalisé un consensus diagnostique aussi complet que possible. Cela a permis la récente validation des critères dits de Budapest (tableau 1 ), qui devraient dorénavant faire foi.1 La vignette ci-dessus remplit ces critères. Ils sont exclusivement cliniques, ne laissant aucune place aux examens radiologiques (radiographie, scintigraphie, IRM). Néanmoins, même si elle est toujours l’objet d’une controverse,2 ,3 l’imagerie, en particulier la scintigraphie et l’IRM, garde un rôle à notre sens, à condition d’en faire bon usage.
Tableau 1.
Critères de Budapest (2010)1.
Sur le plan diagnostique, l’imagerie devrait être réservée aux formes douteuses (celles qui ne remplissent pas les critères de Budapest), aux localisations pour lesquelles les signes cliniques sont souvent discrets et incomplets (par exemple, le genou), aux formes atypiques rares, telles que les SDRC partiels de la main (figure 1 ).4 Elle devrait de plus être réalisée précocement, moins de six mois après le début des symptômes. Sur le plan thérapeutique, l’imagerie peut probablement contribuer à orienter la stratégie médicamenteuse. Une équipe italienne a récemment publié un essai randomisé, contrôlé, de bonne qualité, qui tend à démontrer l’intérêt des bisphosphonates utilisés précocement si la scintigraphie osseuse est positive aux trois phases.5 Dans le cas clinique présenté, la scintigraphie était positive et la diminution des douleurs était marquée après des perfusions de pamidronate (4 x 90 mg en huit jours). Dans les formes «précoces» (moins de six à douze mois), en parallèle avec le traitement antalgique, les médicaments les plus intéressants sont les corticoïdes, les bisphosphonates et les médicaments de la douleur neuropathique. Le niveau de preuves reste cependant modeste et l’approche thérapeutique est pragmatique.6 La calcitonine perd progressivement son crédit et ne doit pas être utilisée plus de quatre à six semaines. Dans les formes «tardives», les traitements médicamenteux sont ceux des syndromes douloureux chroniques en général, sans spécificité véritable du SDRC. Le diagnostic peut être difficile à confirmer, rendant les choix thérapeutiques encore plus complexes.6
Figure 1.
Image scintigraphique d’un syndrome douloureux régional complexe (SDRC) partiel de la main droite (trois derniers rayons)
Mais le socle thérapeutique demeure la restauration fonctionnelle précoce, avec la physiothérapie et l’ergothérapie.6 En plus des techniques antalgiques, du drainage, des mobilisations progressives, la réactivation précoce de l’ensemble de la personne souffrant d’un SDRC est primordiale. Il faut éviter d’appliquer une «règle de la non-douleur», rigide et mal comprise, et la remplacer par la «règle du bon rapport d’activité», qui permet au patient de retrouver son autonomie. Des essais cliniques récents ont en effet confirmé qu’une exposition progressive des patients était possible et efficace.7 En cela aussi le SDRC se rapproche des autres syndromes douloureux. Les facteurs de mauvais pronostics, personnels et environnementaux, sont les mêmes, sans place pour une typologie propre au SDRC. Le rôle des messages délivrés par les soignants, et en particulier par le corps médical, est donc capital pour une prise en charge globale, bio-psychosociale, des malades souffrant de SDRC.

Conclusion

Le travail réalisé au cours des dix dernières années, notamment sous l’égide de l’IASP, a permis d’obtenir un consensus acceptable et praticable pour poser le diagnostic de SDRC (algodystrophie). La diffusion de ces critères devrait permettre la réalisation d’essais cliniques de qualité. Une meilleure compréhension des mécanismes physiopathologiques et des traitements, toujours sujets de controverses, est donc probable à l’avenir.

Implications pratiques

▸ Les critères de Budapest1 sont applicables en clinique. Ils permettent de retenir le diag­nostic de syndrome douloureux régional complexe (algodystrophie) dans la majorité des cas
▸ L’imagerie garde sa place dans la stratégie diagnostique, mais elle doit être demandée de manière raisonnée (cas douteux, localisation ou forme «atypiques») et si possible dans les six premiers mois d’évolution
▸ A côté du traitement antalgique, notre «arbre médicamenteux précoce» comprend principalement les corticoïdes (forme «inflammatoire» prédominante), les bisphosphonates (forme avec imagerie osseuse positive : scintigraphie trois phases, œdème médullaire à l’IRM) et les médicaments de la douleur neuropathique (forme avec douleur «neuropathique» prédominante)
▸ La restauration fonctionnelle (physiothérapie, ergothérapie) demeure le socle thérapeutique. Une approche biopsychosociale orientée vers l’autonomie du patient est primordiale6
▸ La prise en charge doit être précoce, dynamique et pragmatique en évitant de conserver pendant des semaines des traitements inefficaces

    Bibliographie

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  7.  Van de Meent H. Safety of «pain exposure» physical therapy in patients with complex regional pain syndrome type 1. Pain 2011 (152) [Medline]

Contact auteur(s)

François Luthi
Service de réadaptation de l’appareil locomoteur
Av. Grand-Champsec 90, 1950 Sion
francois.luthi@crr-suva.ch
Michel Konzelmann
Clinique romande de réadaptation Suvacare
Av. Grand-Champsec 90, 1950 Sion
michel.konzelmann@crr-suva.ch
S. Stingelin, C. Gabay

L'efficacité des infiltrations locales dans la thérapie des rhumatismes abarticulaires. Revue basée sur les évidences

Rev Med Suisse 2004;
Résumé
Les rhumatismes abarticulaires constituent un groupe hétérogène d'affections et sont une source fréquente de consultations médicales. D'un point de vue thérapeutique, les infiltrations locales de corticostéroïdes sont très souvent utilisées. Une sélection des infiltrations de corticostéroïdes les plus souvent effectuées en pratique quotidienne a été effectuée puis leur efficacité a été analysée en fonction des évidences existant dans la littérature. Cette recherche a permis de démontrer qu'il existe, dans certains cas, des évidences en faveur de ces infiltrations, à court terme. A noter toutefois que beaucoup de ces études sont malheureusement de qualité méthodologique médiocre et que l'absence d'évidence ne signifie pas forcément l'absence de bénéfices.

Introduction

Les problèmes musculo-squelettiques régionaux représentent non seulement une cause majeure de morbidité dans la population générale, mais également une charge financière importante pour le système de santé, de façon directe et indirecte (absentéisme sur le lieu de travail). Ils comprennent un groupe hétérogène d'affections, qui, pour certaines, sont mal caractérisées. Leur incidence exacte dans la population générale n'est donc pas connue.1
Depuis quelques années, il existe une demande de plus en plus forte pour une médecine basée sur les évidences, l'appréciation clinique seule étant jugée insuffisamment fiable. Une grande proportion d'usages cliniques n'a toutefois pas été soumise à des évaluations critiques et les cliniciens n'ont souvent pas de données solides sur lesquelles baser leurs décisions thérapeutiques. Ces derniers disposent cependant de plusieurs sources d'évidence, les études randomisées contrôlées étant considérées par certains comme le «gold-standard». Malheureusement, ces dernières font souvent défaut. D'autres sources d'informations sont également valables telles que l'expérience clinique, qui est une connaissance cumulative, mais informelle et non systématique, propice à des biais et clairement insuffisante lors de cas cliniques rares ; les hypothèses générées par les études de cas devraient être testées par d'autres études : les études expérimentales, les études systématiques et les méta-analyses.2
Concernant les rhumatismes abarticulaires, les critères de classification sont souvent soit inexistants soit peu reproductibles. Ainsi, en termes d'études, il n'existe souvent pas de critères diagnostiques validés, nécessaires à l'uniformisation de la population étudiée. Beaucoup d'études sur le traitement des pathologies abarticulaires sont donc de qualité méthodologique médiocre.
Dans cette revue, nous avons sélectionné les infiltrations de corticostéroïdes les plus souvent effectuées en pratique quotidienne et analysé leur efficacité en fonction des évidences existant dans la littérature internationale.

L'épaule

Les atteintes périarticulaires de l'épaule sont fréquentes dans la population générale et sources de nombreuses consultations médicales. Les données sur l'incidence et la prévalence sont variables selon les études. Dans une étude suédoise, l'incidence annuelle est de 1%, s'élevant à 2,5% dans la quatrième et cinquième décennie. La prévalence est de 7% chez les 30-35 ans, s'élevant à 25% chez les 55-60 ans, tandis que pour d'autres séries, la prévalence dans la population adulte varie de 20 à 51%.3
L'âge avancé, la présence d'ostéophytes acromio-claviculaires et gléno-huméraux, un traumatisme, une cyphose dorsale, des maladies systémiques (polyarthrite rhumatoïde, diabète, par exemple), certaines activités professionnelles et de loisirs sont clairement en relation avec la survenue d'atteintes périarticulaires de l'épaule. Quant à la personnalité dépressive, elle est un facteur de risque de chronicité.
Des critères diagnostiques ont été proposés, mais leur reproductibilité est faible. Des douleurs lors des mouvements, une diminution de la mobilité active ainsi qu'une faiblesse musculaire sont les principaux critères utilisés pour définir une atteinte périarticulaire de l'épaule, mais ceux-ci peuvent varier d'une étude à l'autre (arc douloureux, testing de la coiffe des rotateurs, etc.). Par ailleurs, il existe plusieurs classifications des atteintes de l'épaule, en fonction du processus pathologique (tendinose, tendinite, rupture), de la localisation anatomique (coiffe, espace sous-acromial) ou du mécanisme en cause (conflit sous-acromial) et l'utilisation de ces différents termes pour décrire la même condition peut prêter à confusion.
Du point de vue thérapeutique, de nombreux traitements conservateurs existent, dont les anti- inflammatoires non stéroïdiens, la physiothérapie et les injections de corticostéroïdes. L'efficacité des injections de corticostéroïdes dans les douleurs de l'épaule a été évaluée dans une revue systématique comprenant seize études randomisées contrôlées, trouvées sur Medline et Embase jusqu'en décembre 1995. L'analyse systématique de la méthodologie a révélé de nombreuses lacunes : double aveugle douteux, informations incomplètes sur la procédure de randomisation, la compliance médicamenteuse, les objectifs des études et la façon de les évaluer.4 Seules trois études ont finalement été sélectionnées (tableau 1). Par la suite, deux autres revues systématiques ont été publiées, dont les conclusions diffèrent, la première concluant à l'absence d'évidence d'efficacité des infiltrations, la seconde étant plutôt positive.5-6
Les études citées dans le tableau 1 indiquent que l'injection sous-acromiale de corticostéroïdes est efficace à quatre semaines. Il n'existe par contre aucune indication sur quels patients et à quel moment dans l'évolution une telle infiltration serait le plus bénéfique.
Ces résultats sont confirmés par une revue publiée cette année par la Cochrane Database of Sytematic Reviews :7l'injection sous-acromiale de corticostéroïdes a démontré un léger bénéfice par rapport au placebo à quatre semaines, tant sur la douleur (SMD (standard mean deviation) 0,83, 95%, CI 0,39, 1,26), la fonction (SMD 0,63, 95%, CI 0,2, 1,06) que l'abduction active (SMD 0,82, 95%, CI 0,39, 1,25). Par contre, l'injection de corticostéroïdes, avec ou sans anti-inflammatoires non stéroïdiens associés n'a montré aucun avantage par rapport à un anti-inflammatoire non stéroïdien seul.
En conclusion, bien qu'il existe de nombreuses études randomisées contrôlées, leur qualité méthodologique est discutable, les collectifs de patients sont petits (52 patients en moyenne par étude), sans suivi à long terme, avec une hétérogénéité en termes de populations étudiées, de modalités d'injections et de groupe contrôle. A l'avenir, des critères standardisés permettant de mieux définir les atteintes de l'épaule sont absolument indispensables. D'autres points importants, tels que le site et la fréquence d'injection, la dose et le type de corticostéroïdes devront également être clarifiés.
Le Collège hollandais des médecins généralistes a publié des recommandations concernant la prise en charge de patients avec douleurs de l'épaule, de caractère mécanique, avec ou sans limitation de la mobilité, basées sur les évidences de la littérature internationale (tableau 2).

Le coude

L'épicondylite latérale
Elle affecte entre 1 et 3% de la population adulte, surtout entre 40 et 60 ans, le côté dominant étant préférentiellement atteint. Il s'agit d'une surcharge des extenseurs du poignet au niveau de leur insertion sur l'épicondyle, le plus souvent suite à des microtraumatismes répétés. Un épisode dure habituellement entre six et vingt-quatre mois, la plupart des patients guérissant en un an.
De nombreux traitements ont été proposés, incluant entre autres les anti-inflammatoires non stéroïdiens, la physiothérapie, les ultrasons, les ondes de choc et les infiltrations de corticostéroïdes, mais il n'existe à l'heure actuelle pas de consensus concernant le traitement optimal. L'efficacité des injections de corticostéroïdes a été évaluée dans une revue, comprenant douze études randomisées contrôlées ;8 elle conclut à une amélioration clinique, mais à court terme seulement (six semaines). Toutefois, pour l'auteur, en raison de la qualité méthodologique médiocre de ces études, très hétérogènes, comportant de nombreux biais, avec un pouvoir statistique faible, l'évidence de l'efficacité d'un tel traitement n'est pas concluante. A signaler qu'une précédente tentative de méta-analyse s'était soldée par un échec,9 les auteurs estimant qu'en raison des variations considérables dans les traitements, les critères de sélection et les objectifs, des comparaisons n'étaient guère possibles. Cet effet bénéfique à court terme et la difficulté de tirer des conclusions claires en raison de la qualité moyenne des études a également été confirmée par une autre revue, publiée par la Cochrane Database.
Sur la base de ces données scientifiques, sans éléments clairs en faveur de l'une ou l'autre des interventions thérapeutiques, et du fait de l'évolution bénigne de la grande majorité des épicondylites, le Collège hollandais des médecins généralistes a émis comme recommandation une attitude de «wait-and-see», avec des conseils ergonomiques et des antalgiques si nécessaire. En se référant à ces recommandations, une étude hollandaise a cherché à comparer l'efficacité des injections de corticostéroïdes par rapport à la physiothérapie et à une attitude attentiste ;10 185 patients, présentant une épicondylite depuis au moins six semaines, ont été inclus et suivis durant 52 semaines :
59 ont été randomisés dans le groupe «wait-and-see», recevant des conseils ergonomiques ainsi que, si nécessaire, du paracétamol (2-4 g/j) ou des anti-inflammatoires non stéroïdiens (naproxène 1000 mg/j) ;
62 dans le groupe injection de corticostéroïdes (trois injections au maximum en six semaines) ;
64 dans le groupe physiothérapie (neuf traitements d'ultrasons et de massages profonds avec un programme d'exercices, sur six semaines).
Les résultats révèlent que l'injection de corticostéroïdes est le traitement le plus efficace à court terme, tant sur la douleur que sur la capacité fonctionnelle et l'amélioration globale. Toutefois, ces effets bénéfiques sont de courte durée, limités à douze semaines, avec un taux de rechutes élevé, de l'ordre de 24%. Les hypothèses énoncées pour expliquer ces résultats sont un éventuel effet néfaste des infiltrations sur le tendon ou une reprise trop précoce de l'activité après l'infiltration.
A long terme, la physiothérapie est l'option la plus favorable, suivie de près par l'attitude attentiste, la différence entre les deux groupes n'étant toutefois pas significative du point de vue statistique. En conclusion, pour les auteurs, il n'y a pas de raison de penser qu'une option attentiste n'est pas adéquate.

La bursite olécrânienne
Il s'agit d'une atteinte fréquente, survenant en moyenne chez trois individus sur 1000. Un tiers environ de ces bursites est d'origine infectieuse, souvent précédée d'une dermabrasion parfois méconnue, d'où la nécessité de ponctionner toute collection liquidienne. Parmi les autres étiologies, citons les causes mécaniques, traumatiques, microcristallines, inflammatoires dans le cadre d'un rhumatisme inflammatoire ou encore idiopathique. Une étude prospective, randomisée, en double aveugle, a comparé l'efficacité d'une infiltration intrabursale de corticostéroïdes à un anti-inflammatoire non stéroïdien par voie orale dans les cas de bursite non septique,11 en se basant sur l'évolution de la tuméfaction locale et le nombre de ponctions évacuatrices. Les résultats parlent clairement en faveur de l'infiltration locale, l'effet bénéfique apparaissant rapidement, en l'espace d'une semaine, et se prolongeant jusqu'à la fin de l'étude, à six mois.

La hanche

Les bursites et tendinites sont des causes fréquentes de douleurs de la péri-hanche, particulièrement chez les femmes, et sont souvent associées à des pathologies du rachis lombo-sacré, de l'articulation coxo-fémorale ou à une asymétrie de longueur des membres inférieurs. La hanche est le siège de nombreuses bourses, comme la bourse de l'ilio-psoas et la bourse ischiatique, mais la plus connue de toutes est la bourse trochantérienne.
Du point de vue thérapeutique, des infiltrations de corticostéroïdes sont souvent effectuées. Il n'existe pas d'études randomisées contrôlées évaluant leur efficacité, mais quelques études ouvertes ont révélé un effet bénéfique. Une étude incluant trente-six cas de bursite trochantérienne, dont le diagnostic est purement clinique, rapporte une excellente réponse après une à deux infiltrations dans deux tiers des cas et une amélioration dans le restant des cas. A noter une récidive de la symptomatologie dans un quart des cas en l'espace de deux ans.12 Par ailleurs, des doses plus élevées de corticostéroïdes semblent être associées à un meilleur effet thérapeutique.13
Dans certains cas de douleurs trochantériennes, des déchirures du petit et/ou du moyen fessier ont été décrites. Une étude en particulier, incluant vingt-quatre femmes avec douleurs trochantériennes évoluant depuis douze mois en moyenne, a évalué la prévalence d'une déchirure du moyen fessier et ses signes prédictifs.14 Les résultats montrent une déchirure du moyen fessier chez 45,8% de ces patientes, une tendinite chez 62,5% et une bursite chez deux d'entre elles. Quant au signe de Trendelenburg, il a une excellente valeur prédictive pour les déchirures, avec une sensibilité de 72,7% et une spécificité de 76,9%. Ainsi, en cas de signe de Trendelenburg positif, une IRM de la hanche semble raisonnable. La signification pronostique de ces découvertes n'est toutefois pas encore connue. En effet, chez les sujets âgés, on retrouve fréquemment des déchirures parfaitement asymptomatiques du tendon du muscle sus-épineux, et il n'y a pas de raison de penser que cela ne puisse également exister dans la région trochantérienne.

Le genou

Le genou est le siège de plusieurs bourses, dont l'inflammation peut être responsable de douleurs locales. Les bursites les plus fréquentes sont la bursite prépatellaire, d'étiologie le plus souvent mécanique, infectieuse ou microcristalline, et la bursite ansérine, souvent associée à une arthrose fémoro-tibiale interne. Quant aux tendinites, les plus fréquemment citées sont la tendinite patellaire (jumper's knee), qui touche préférentiellement les sportifs, ainsi que la tendinite de la patte d'oie.
Il faut mentionner que le syndrome de la patte d'oie, qui se manifeste par des douleurs localisées à la face interne du genou, quelques centimètres sous l'interligne articulaire, touche préférentiellement les femmes avec excès pondéral et est généralement attribué à une tendinite ou à une bursite de la patte d'oie. Toutefois, une étude incluant trente-sept patients avec syndrome de la patte d'oie, chez qui une échographie a été effectuée, a révélé une tendinite chez un seul patient et une bursite chez deux d'entre eux. Il n'existe pas non plus de signes échographiques pour une panniculite.15 L'étiologie exacte de ce syndrome n'est donc pas clairement établie.
Du point de vue thérapeutique, il existe des publications sur l'utilité des infiltrations intrabursales et péritendineuses de corticostéroïdes, mais, comme pour la hanche, il n'existe pas d'études randomisées contrôlées prouvant l'efficacité de ces infiltrations.

Le pied

La tendinite d'Achille
Elle est une des atteintes les plus fréquentes en médecine du sport et résulte habituellement de microtraumatismes répétés avec microdéchirures, dus à une utilisation excessive de la musculature du mollet, comme dans la danse ou la course à pied par exemple. Des douleurs à l'insertion du tendon d'Achille (enthésopathie) se rencontrent souvent dans le contexte de spondylarthropathies. Ce tendon est également souvent le siège de tophus goutteux, de dépôts de lipides et de nodules rhumatoïdes.
Concernant le traitement des tendinites d'Achille, il n'existe pas de consensus. Une seule étude randomisée contrôlée a été publiée sur l'utilisation des infiltrations de corticostéroïdes,16 incluant vingt-huit patients avec tendinite d'Achille, dont six avec atteinte bilatérale. L'injection péritendineuse de méthylprednisolone, associée à la Marcaine®‚ (bupivacaïne), n'a pas montré d'effet bénéfique par rapport à l'injection de Marcaine®‚ seule. A souligner qu'aucun cas de rupture tendineuse n'a été signalé. Enfin, dans les conclusions d'une méta-analyse sur le traitement de la tendinite d'Achille aiguë et chronique, publiée par la Cochrane,17 les auteurs notent que les évidences sont actuellement insuffisantes pour déterminer la méthode de traitement la plus appropriée.

La fasciite plantaire
Elle représente la cause la plus fréquente des talalgies inférieures, touchant 10% de la population générale à un moment donné : elle résulte de microtraumatismes répétés sur l'insertion calcanéenne de l'aponévrose plantaire. Comme facteurs favorisants, on retrouve la surcharge pondérale, les troubles statiques du pied (pied plat et pied creux), la pratique sportive (course à pied et basket-ball par exemple). Elle peut également être le reflet d'une enthésopathie dans le cadre d'une spondylarthropathie. De nombreux traitements ont été proposés, incluant entre autres les anti-inflammatoires non stéroïdiens, les injections de corticostéroïdes, les talonnettes amortissantes, les orthèses, la physiothérapie. De nombreuses publications, dont un faible pourcentage d'études randomisées contrôlées, existent sur le sujet, et la première revue de la littérature analysant leur efficacité respective date de 1999.18 La qualité méthodologique moyenne des quarante-sept publications est médiocre et l'hétérogénéité en terme de traitements est très grande, rendant les comparaisons difficiles. Seules trois études concernent les infiltrations de corticostéroïdes (tableau 3).
L'amélioration clinique, observée tant dans les groupes traités que contrôles, suggère que certains effets du traitement peuvent être expliqués soit par l'effet placebo soit par la résolution spontanée des symptômes. Seule l'étude de Kriss montre une différence statistiquement significative à un mois entre les patients ayant seulement reçu une injection de corticostéroïdes et ceux avec combinaison thérapeutique. Il existe toutefois des biais majeurs dans cette étude, à savoir la connaissance du traitement reçu par tous les participants et examinateurs ainsi que l'absence de groupe contrôle. Les auteurs de cette revue concluent donc à l'absence d'évidences scientifiques robustes en faveur de l'un ou l'autre des traitements.
Ces conclusions sont cependant nuancées dans la méta-analyse publiée par la Cochrane Database,19 incluant cinq études randomisées avec injections de corticostéroïdes, dont les trois citées ci-dessus. Leurs résultats montrent un léger effet bénéfique de l'infiltration de corticostéroïdes à court terme, mais l'absence d'efficacité à moyen terme (trois et six mois) ; d'importantes pertes dans le suivi à six mois (jusqu'à 50%) sont signalées.
A noter enfin l'absence d'amélioration du confort des patients par un bloc tibial postérieur avant l'infiltration de corticostéroïdes, expliquée soit par un contact direct et douloureux avec le nerf lors du bloc, soit par un délai d'attente trop court entre le bloc et l'infiltration.20

Conclusions

Cette revue de la littérature a permis de démontrer qu'il existe dans certains cas des évidences en faveur de l'efficacité des injections de corticostéroïdes, à court terme. Malgré tout, en pratique quotidienne, ce geste est non seulement très souvent utile mais très souvent utilisé. Il est bien sûr évident que la médecine est une discipline scientifique qui doit donner priorité à l'évidence, mais l'évidence peut provenir non seulement d'études randomisées contrôlées, mais également d'observations cliniques, de case-report et de revues de la littérature. Toutefois, depuis une décennie, le terme «evidence-based medicine» ne se réfère presque plus qu'aux études randomisées contrôlées et aux méta-analyses. Or, de nombreux sujets ne peuvent être étudiés par le biais d'études randomisées contrôlées, l'interprétation de l'évidence peut changer au cours du temps, avec la venue de nouvelles informations, il n'y a pas toujours d'unanimité sur l'interprétation des résultats des études, et enfin, il existe de nombreuses limitations «pratiques», telles que la durée et la puissance des études ou la sélection des patients.21
La question de l'utilité des corticostéroïdes doit toutefois se poser. En effet, le rôle de l'inflammation semble évident dans les bursites aiguës mais l'est nettement moins dans les tendinopathies, la plupart des études histologiques de lésions chroniques ayant démontré l'absence de cellules inflammatoires. Des lésions dégénératives prédominent. Le terme usuel de tendinite n'est donc pas approprié et devrait être remplacé par celui de tendinopathie. D'autres mécanismes que l'inflammation ont été incriminés dans le déclenchement de la douleur, tels que l'irritation des mécanorécepteurs par la vibration et la traction ou encore le déclenchement de récepteurs nociceptifs par certains neurotransmetteurs ou irritants biochimiques.
Seul le doigt à ressaut (ténosynovite des fléchisseurs des doigts) fait figure d'exception, avec mise en évidence de signes d'inflammation chronique. Les études randomisées contrôlées ont d'ailleurs montré une amélioration d'environ 60% de la symptomatologie suite à l'injection de corticostéroïdes.
En pratique quotidienne, lors d'une infiltration de corticostéroïdes, un anesthésique est souvent utilisé de façon concomitante, dans le but de s'assurer du bon placement de l'aiguille, d'augmenter le confort du patient ainsi que le volume injecté pour davantage de dispersion. L'injection d'un anesthésique seul peut également être utile pour le diagnostic. La durée de l'analgésie peut parfois excéder celle de la durée d'action de l'anesthésique, pour des raisons encore peu connues. Il n'existe cependant pas d'études comparant une seule injection d'anesthésique à plusieurs ni d'études comparant l'anesthésique à un placebo.
Concernant les effets secondaires des infiltrations de corticostéroïdes, leur incidence globale n'est pas connue, certaines études les estimant à 1%. Ils sont en majorité mineurs, parfois permanents. Les effets suivants ont été décrits : atrophie du tissu sous-cutané par nécrose de la graisse sous-cutanée, dépigmentation locale et permanente, érythème facial et réaction d'hypersensibilité, poussée douloureuse postinfiltration, infection (évaluée à 1/14 000-1/50 000 infiltrations, intra- et périarticulaires), ruptures tendineuses et effets systémiques (déséquilibre du diabète, par exemple).
Bien qu'il existe de nombreux case-report sur des ruptures du tendon d'Achille suite à une infiltration, il n'existe pas d'études rigoureuses quantifiant ce risque. La rupture tendineuse est souvent décrite suite à une mise en charge précoce du tendon, qu'il faut donc éviter. Chez le rat, l'injection intra-tendineuse de corticostéroïdes affaiblit temporairement le tendon, et augmente donc le risque de rupture, mais n'a aucune répercussion sur la force du tendon si l'injection est péritendineuse. L'injection au voisinage d'une déchirure tendineuse n'est toutefois pas recommandée, étant donné le risque de rupture et/ou d'altérations des mécanismes de réparation.22
Malgré l'absence de données scientifiques dans la littérature, certaines recommandations existent pour les infiltrations de corticostéroïdes : réserver ce geste en cas d'échec/contre-indications au traitement médicamenteux, respecter un intervalle de six semaines entre les infiltrations, ne pas dépasser trois infiltrations par site et par année, recommander un repos relatif de quinze jours après l'infiltration et ne pas hésiter à remettre régulièrement son diagnostic en doute.21La Société suisse de rhumatologie a également émis certaines recommandations pour les infiltrations intra/périarticulaires, à consulter sur son site internet (www.rheuma-net.ch). L'importance de l'information du patient est soulignée, chaque médecin devant être capable de démontrer qu'il a agi selon les règles de l'art médical. W

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Contact auteur(s)

Dr Sibylle Stingelin
et Pr Cem Gabay
Service de rhumatologie
Département de médecine
Hôpital de Beau-Séjour
Av. de Beau-Séjour 26
1211 Genève 14
sibylle.stingelin@hcuge.ch