Introduction

L’apparition d’une douleur sur la face latérale de la hanche est une plainte souvent rapportée en rhumatologie. Elle peut être secondaire à une pathologie disco-vertébrale lombaire, osseuse du bassin ou du grand trochanter, de l’articulation coxo-fémorale, ou des tissus mous péritrochantériens. Ces derniers sont constitués de bourses séreuses et de tendons dont l’anatomie rappelle celle de l’épaule. L’inflammation de ces structures conduit respectivement au diagnostic de périarthrite scapulohumérale ou de périarthrite de la hanche en fonction de leur localisation. Dans certains cas extrêmes, elle peut entraîner une rupture tendineuse, fréquente au-delà de 70 ans pour l’épaule. Nous rapportons deux cas rarement signalés de rupture non traumatique des tendons de deux muscles péritrochantériens : les gluteus medius (Gmed) et minimus (Gmin).

Cas clinique n˚ 1

Cette patiente de 69 ans, concierge d’immeuble à la retraite, souffre depuis 1971 d’une arthropathie inflammatoire récidivante et érosive isolée des mains, accompagnée d’un œdème sous-cutané mais sans la présence du facteur rhumatoïde. Elle a été traitée successivement par des antimalariques, des sels d’or, du méthotrexate, de la ciclosporine puis du léflunomide depuis 1999 associé à des doses orales de prednisone variant entre 5 et 10 mg/jour. En 2001, elle développe une lombo-radiculalgie droite irradiant selon le trajet de L4 due à une discopathie lombaire étagée visible sur les radiographies et un étalement discal médian jusqu’à foraminal L4-L5 objectivé sur l’image scannographique. Elle signale à l’examen clinique une douleur élective à la palpation du grand trochanter des deux côtés et attribuée à une périarthrite de hanche avec mise en évidence d’une légère hyperfixation locale à droite sur la scintigraphie osseuse. L’évolution est progressivement favorable suite au traitement conservateur, une infiltration paravertébrale et une infiltration péritrochantérienne à droite. Par la suite, elle est marquée par quelques récidives douloureuses sur la face latérale des hanches répondant à de la physiothérapie ou une infiltration locale.
En automne 2005, elle consulte pour une nouvelle récidive des douleurs de la hanche droite accompagnées d’une boiterie progressive et qui s’aggravent brutalement l’été 2006.
L’examen clinique général révèle une importante surcharge pondérale (IMC = 30,5 kg/m2 ). Les articulations des mains ne sont pas enflammées. Le rachis est raide mais non douloureux. La mobilité de la hanche droite est normale. En revanche, on note la présence d’un signe de Trendelenburg à droite avec un maintien de l’équilibre en position uni-podale ne dépassant pas cinq secondes. Les rotations internes et externes extrêmes de la hanche droite ne sont pas douloureuses ; la rotation interne contrariée est difficilement réalisable mais non algique.
Les examens de laboratoire sont dans la norme à l’exception d’une VS à 26 mm/h. La radiographie du bassin révèle un discret pincement coxo-fémoral à droite, sans signe de chondrocalcinose ni présence d’une calcification tendineuse et une intégrité des structures osseuses.
L’échographie (figure 1) et l’IRM (figure 2) objectivent une rupture complète du Gmed et partielle du Gmin, accompagnées d’une bursite péritrochantérienne et d’une infiltration graisseuse des muscles Gmed et Gmin.
Figure 1

Cas clinique n˚1. Echographie péritrochantérienne droite

Rupture du Gmed accompagnée d’une bursite hypo-échogène.
Figure 2

Cas clinique n˚1. IRM de la hanche droite

Rupture complète du gluteus medius et partielle du gluteus minimus avec infiltration graisseuse des muscles.
Une suture ou un ancrage chirurgical n’a pas été retenu par les orthopédistes consultés en raison de la surcharge pondérale, du traitement chronique par un stéroïde, de l’infiltration graisseuse des muscles et du rhumatisme inflammatoire des mains compromettant une décharge prolongée du membre inférieur. Les douleurs locales ont bien répondu à un traitement de physiothérapie, sans améliorer la boiterie compensée partiellement par l’utilisation d’une canne.

Cas clinique n˚2

Cette patiente de 83 ans souffre de lombalgies basses et de douleurs de la fesse droite de type mécanique depuis plusieurs mois, associées à une boiterie. Dans les antécédents, on retient une résection d’une bursite trochantérienne bilatérale dans les années septante et un diagnostic de canal lombaire rétréci secondaire à de l’arthrose. Un diagnostic de périarthrite de la hanche a été posé par le médecin de famille et plusieurs infiltrations rétrotrochantériennes ont été effectuées avec un bon résultat transitoire. Devant la récidive des douleurs, elle est adressée, en été 2007, à la consultation ambulatoire du service.
L’examen clinique général est sans particularité. La marche s’effectue avec une boiterie de Trendelenburg à droite. L’examen coxo-fémoral révèle une douleur péritrochantérienne droite. La rotation externe de la hanche est douloureuse en fin de course tout comme l’abduction contrariée. Le rachis lombaire est indolore. L’examen neurologique est normal.
La radiographie de la hanche est normale. L’IRM de la hanche droite (figure 3) montre une rupture subtotale du Gmed avec amyotrophie et dégénérescence graisseuse musculaire. Le traitement de physiothérapie et une infiltration locale sont décevants. Les chirurgiens orthopédistes n’ont pas retenu d’indication opératoire.
Figure 3

Cas clinique n˚ 2. IRM de la hanche droite

Rupture subtotale du gluteus medius avec amyotrophie et dégénérescence graisseuse musculaire. A. Coupe frontale ; B. Coupe transversale.

Discussion

La dénomination périarthrite de hanche devrait aujourd’hui être abandonnée au profit de celle de tendino-bursite qui qualifie mieux cette pathologie et tient compte des connaissances anatomiques et fonctionnelles plus précises acquises ces dernières années par l’IRM.1,2 L’articulation de la hanche peut actuellement être comparée à celle de l’épaule ; les tissus périarticulaires sont ainsi dénommés, par analogie, coiffe des rotateurs de la hanche.3 En effet, ces structures sont caractérisées par un fort tendon rotateur interne s’insérant respectivement sur le trochanter minor(petit trochanter) et sur le tuberculum minus (trochin) (muscles iliopsoas et subscapularis) ainsi que par deux abducteurs s’insérant respectivement sur le trochanter major (grand trochanter) et le tuberculum maius (trochiter) (Gmed et Gmin pour la hanche ainsi que supra- et infraspinatus pour l’épaule).3 Le tendon du Gmed possède deux insertions sur le trochanter major ; le tendon principal s’insère sur sa face supérieure, sa lame latérale sur sa facette latérale. L’activation du muscle produit l’abduction de la hanche ; il intervient également dans la rotation interne (prépondérante)1 par ses fibres antérieures et externe par ses fibres postérieures. Elle permet la station debout uni-podale dont la succession alternée est impliquée dans la marche. Le Gmin a les mêmes fonctions que le Gmed mais est moins abducteur.
La tendino-bursite du Gmed est la cause la plus fréquente des douleurs péritrochantériennes. Le Gmin est plus rarement impliqué, souvent en association avec une atteinte du Gmed. Ces lésions se manifestent par des douleurs subaiguës de la région externe de la hanche avec des irradiations variables, à la partie latérale de la cuisse, à l’aine, voire à la crête iliaque (insertion proximale du Gmed).4 Cette symptomatologie s’observe préférentiellement chez les femmes d’âge moyen, après la ménopause et avec une surcharge pondérale. On trouve souvent des antécédents de lombo-radiculalgies.
A l’examen clinique, on provoque habituellement une douleur à la palpation trochantérienne, à la rotation externe forcée2 (étirement du tendon) et l’abduction contrariée1,2 (contraction musculaire) de la hanche. Cette dernière devrait être cherchée à 30° d’abduction et à différents degrés de flexion, plusieurs muscles étant impliqués en fonction de la position de la hanche. Le signe le plus sensible semble être la dérotation externe contrariée de la hanche. Ce test consiste à s’opposer au retour à la position neutre de la hanche à partir de la rotation externe maximale. Ce signe n’est parfois présent que lorsque le test est effectué en décubitus ventral.1
Les radiographies conventionnelles du bassin et de la hanche permettent surtout d’exclure une autre pathologie ostéo-articulaire. Elles objectivent parfois des calcifications tendineuses et/ou des microgéodes dans le grand trochanter. Le diagnostic différentiel inclut alors la trochantérite infectieuse, notamment tuberculeuse, et les métastases. Des examens complémentaires (IRM, CT-scan, scintigraphie) sont rarement nécessaires.
Le traitement comprend les infiltrations locales par un stéroïde (en respectant les recommandations de la Société suisse de rhumatologie)5 et de la physiothérapie (ultrasons, massages, étirements, etc.). Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont rarement efficaces. Des antidépresseurs ont parfois été utilisés avec succès dans des cas rebelles.4
La rupture de la coiffe des rotateurs de la hanche fait le plus souvent suite à une tendino-bursite, hormis les ruptures traumatiques liées au sport.6 On distingue les ruptures complètes et partielles. Cette pathologie est peu connue puisqu’une étude française, réalisée en 2006, a montré qu’un orthopédiste sur deux en ignorait l’existence.7
L’incidence est faible mais probablement sous-estimée. En effet, Kingzett-Taylor et coll. ont montré, en 1998, que sur 250 patients se plaignant de douleurs fessières et chez qui une IRM avait été effectuée, trente-cinq présentaient une tendinite péritrochantérienne, quatorze une rupture partielle et huit une rupture complète du Gmed.8 La lésion la plus fréquemment observée est la rupture limitée à la lame latérale du Gmed. Elle survient généralement après une longue évolution d’une tendino-bursite récidivante et rebelle au traitement comme dans nos observations. La boiterie est inconstante. La rupture complète concerne le tendon principal du Gmed. Elle se présente sous la forme d’une pseudo-paralysie de l’abduction de la hanche. Elle apparaît brutalement et la boiterie est alors systématique. Le patient est souvent plus gêné par la boiterie que par la douleur. A l’examen clinique, le signe de Trendelenburg est présent. Il consiste en l’abaissement contro-latéral du bassin lors de l’appui uni-podal du côté affecté, le bassin n’étant plus stabilisé par le Gmed affaibli ou rompu.9,10 La boiterie de Trendelenburg est la succession d’appuis uni-podaux avec chute contro-latérale du bassin à chaque pas. La boiterie de Duchenne représente le même phénomène mais avec une compensation plus marquée au niveau de la colonne dorsale qui bascule du côté atteint pour rétablir le centre de gravité.
L’IRM est l’examen radiologique le plus performant. Elle montre la rupture tendineuse, son étendue, les tendons impliqués, une éventuelle bursite associée ainsi que l’existence d’une amyotrophie, d’une infiltration graisseuse et/ou d’une rétraction musculo-tendineuse. L’échographie peut donner des renseignements similaires mais dépend énormément de la compétence de l’examinateur. Elle peut être très utile pour la réalisation d’une infiltration guidée qui constitue une bonne approche thérapeutique de la douleur, associée à la physiothérapie. Cette approche ne permet cependant pas d’améliorer la marche qui nécessitera l’utilisation d’une canne. En présence d’une rupture, l’indication opératoire peut être discutée en cas de chronicité (plus de trois mois) et d’échecs répétés de tous les traitements conservateurs. L’intervention consiste souvent en un débridement avec suture ou réinsertion osseuse2 avec trois à cinq points d’ancrage. Une amyotrophie, une dégénérescence musculaire graisseuse ou une rétraction tendineuse ainsi qu’une présence d’obésité, d’un traitement stéroïdien régulier, d’une ostéoporose marquée ou d’un manque de motivation constituent des contre-indications relatives. En effet, la décharge postopératoire dure six à huit semaines et s’accompagne d’une rééducation musculaire intensive.2 Il n’existe pas d’importante série permettant de juger du résultat du traitement chirurgical à moyen ou long terme. Certains indices semblent néanmoins encourageants si l’indication est bien posée.

Implications pratiques

> La dénomination périarthrite de la hanche devrait être remplacée par celle de tendino-bursite péritrochantérienne
> Les ruptures tendineuses complètes ou partielles des muscles glutéaux sont probablement insuffisamment diagnostiquées
> Le traitement conservateur de la rupture complète du tendon du gluteus medius peut soulager les douleurs mais ne compense pas la boiterie
> Une intervention orthopédique réparatrice peut être discutée dans certains cas